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cas de figures

2017, installation sonore :

  • rideaux, acrylique, sons, édition papier
  • exposition personnelle à art3, Valence, programme Résonnance de la Biennale de Lyon 2017

texte : Josselin Vidalenc pour La Belle Revue

http://www.labellerevue.org/fr/critiques-dexpositions/2018/parleurs-du-ventre-et-autres-ventriloques

Cas de figures de Julie Sas, c'est une scène qui prend place à art3. On y accède après avoir traversé un premier espace d'accueil et en descendant trois marches. Les murs y sont blancs, le sol est recouvert de carrelage également blanc. La scène se compose de quatre rideaux suspendus en forme de cylindres de soixante centimètres de diamètre. Ces rideaux, accrochés au plafond, tombent jusqu'au sol en formant de larges plis. Sur ces rideaux, d'autres rideaux sont peints, tombant eux aussi jusqu'au sol en formant des plis aussi larges, dessinant des jeux d'ombres portées. À intervalles irréguliers, des sons, dont les sources sont cachées à l'intérieur des rideaux circulaires, résonnent dans l'espace pendant quelques secondes. Ce sont quatre voix relatives à chaque rideau qui énoncent parfois seules, parfois de concert, des semblants de mots anglais dont on ne distingue pas précisément le sens, ni une quelconque construction de phrase.

Des témoignages rapportent depuis l'antiquité que pour prédire l'avenir ou faire entendre les voix d'entités insaisissables,des personnes appelées engastrimythes ou ventriloques parlent avec leur ventre.

Il y a des ventres qui parlent. Et il y a des ventres qui dialoguent. Et il y a des ventres qui articulent. Et il y a des ventres qui énoncent. Et il y a des ventres qui prononcent. Et il y a des ventres qui dictent. Et il y a des ventres qui clament. Et il y a des ventres qui radotent. Et il y a des ventres qui bavardent. Et il y a des ventres qui baratinent.
 

On ne sait jamais d'où vient le son de la voix.
? Qui ? parle ? Quoi ? parle ? Qui ? est ? parlé ? Par ? qui ? Qui ? fait ? dire ? quoi ? Pourquoi ?

Julie Sas interroge depuis quelques années, les pratiques de l'anonymat, les formes d'invisibilité, de secret, de discrétion ou encore de silence, dans les sphères artistique, littéraire, musicale et politique. Ces pratiques soulèvent autant les questions d'identité, de mode d'énonciation, d'oralité et semblent être la matière principale de cette exposition.

Mais quelle est l'origine des voix ? Une autre voix, celle de la médiation de cette exposition, mais aussi un livret remis au visiteur à sa sortie, l’informe qu’elles sont celles d'une communauté d’individus basée en Irlande, qui se réunit via un chat crypté sur internet, pour tenter de retranscrire le langage du monologue intérieur (le fait de se parler à soi-même).

Julie Sas me révèle cependant lors d'un rendez-vous pris quelques jours après ma visite, qu'elle a construit l'exposition en différents niveaux de duperie. Premier niveau : les trompe-l'œil de rideaux peints sur les rideaux. Les deux autres niveaux, plus difficiles à déceler, sont l'artificialité des voix entendues et le caractère fictionnel de la communauté d'individus irlandais. Cette fiction a été inventée en soumettant les fichiers sonores à quelques personnes sans leur en indiquer la nature ni l'origine et en leur demandant de les imaginer. Elle masque ainsi la véritable provenance des voix issues d'une série de très courts fichiers sonores disponibles sur internet et produits par l'entreprise Google Deepmind qui développe une intelligence artificielle capable de prononcer des mots qu'elle invente et qui ressemblent à de vrais mots.

 

Julie Sas use des procédés des ventriloques puisqu'elle dissocie de sa source l'information reçue par le spectateur. Elle interroge ainsi les modalités d'existence d'un simulacre tout comme l'énonciation d'une soi-disant vérité et sa proposition revêt alors une dimension hautement politique. On sait les apparences parfois pernicieuses qui servent tels discours ou projet de domination. La ventriloquie apparaît alors être un outil paradoxal, capable de révéler autant que cacher ce qui existe.

 

Crédits photos: Thierry Chassepoux
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